Portrait d'André Coulon, crollois né dans un camp de concentration

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En 2025, nous célébrons les 80 ans de la victoire des forces alliées sur l'Allemagne nazie et l'achèvement du conflit le plus meurtrier du XXe siècle. A cette occasion, nous avons rencontré André Coulon dont les premiers jours ont été marqués par la résistance.

Ces 80 ans sont une célébration pour ne pas oublier, une célébration pour qu’une des périodes les plus sombre de notre Histoire soit portée à connaissance des plus jeunes et éviter que cela ne se répète. Ne pas oublier, se souvenir, se replonger dans cet héritage c’est aussi découvrir des parcours de vie, des personnalités, des hommes, des femmes, engagés qui n’ont pas voulu céder à l’oppresseur et pour qui la liberté et la vie valaient tous les combats et méritaient de prendre tous les risques.
C’est sous cet angle que nous avons choisi d’aborder cet anniversaire de la Victoire et c’est ce qui nous a amené à rencontrer André Coulon installé à Crolles depuis 1975.

L’histoire familiale d’André est intimement liée à la Seconde Guerre. Son père est sur le front. En mai 1940, sa compagnie tentera de résister aux assauts de l’armée allemande. La bataille de Sedan fait rage, les pertes matérielles et humaines sont lourdes pour les deux parties. Sur les 120 hommes qui composaient la compagnie de Raymond, il en restera 8. Ils sont alors faits prisonniers de guerre et envoyés dans un camp en zone occupée, à quelques encablures du champ de bataille, la Chartreuse de Mont Dieu transformée en Frontstalag ou camp de prisonniers.

"Point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage"

Sophie sa mère est Polonaise. Sa famille installée en Russie, fuit la Révolution Russe en 1917 pour retrouver sa terre natale polonaise avant de se lancer dans
la traversée de l’Europe pour s’installer en France, dans la région parisienne. En 1939, la guerre est déclarée. Son père décide de créer un réseau de résistants.
Sophie et ses deux frères sont bien évidemment de la partie mais en 1940, ils sont arrêtés lors d’une rafle. Les deux frères sont envoyés à Buchenwald d’où
ils s’évaderont dès le premier jour de leur arrivée. Sophie quant à elle est faite prisonnière et envoyée à la Chartreuse de Mont Dieu. Et c’est là qu’elle va
rencontrer Raymond. Travaux forcés pour lui, dans les champs et par un matin de novembre, il aperçoit une jeune femme, un soldat allemand aux trousses.
Bien décidée à en découdre elle lui assène un coup bien placé. Si ça ne lui évite pas d’être renvoyée manu militari aux cuisines, son intégrité physique demeurera intacte. Le soir même Raymond recroise Sophie. Séduit par ce caractère et cette détermination, la magie opère ; en décembre 1942 ils se marient
et le 1er juillet 1943, le petit André pointe le bout de son nez ; de quoi les conforter dans leur idée : il faut s’évader.
Le 13 février 1944, munis d’une valise dans laquelle sera caché André, ils prennent la poudre d’escampette, direction la Sarthe. Tout au long de leur périple, ils seront aidés par des résistants. S’ils sont désormais « libres », il faudra attendre la fin de la guerre pour vivre au grand jour.

À la Libération, tout ne sera pas rose pour autant.

Il faut reconstruire le pays, le rationnement est encore en vigueur. André et ses parents vivent dans une petite maison sans eau ni électricité. Les choses s’amélioreront au fil des ans, pour sa famille et pour le pays. En 1950, ils s’installent dans une maison plus confortable. Peu à peu la vie sera plus douce, la famille va s’agrandir.
À l’été 1951, André a 8 ans et une idée en tête : partir en vacances. Un rêve encore inaccessible pour la famille mais André ne se démonte pas ; il part seul en forêt pour y construire une cabane et vivre des ressources qu’offre la nature. Son père est persuadé qu’il sera bien vite de retour ; c’était sans compter la débrouillardise et la détermination d’André : il va y rester un mois. Il est comme ça André et ce fort caractère l’accompagnera tout au long de son parcours, que ce soit pendant ses études et au fil de sa carrière. Une carrière qu’il dédiera à l’éducation populaire. C’est un ardent défenseur de la méthode Freinet qui revendique un contexte d'apprentissage où chaque enfant peut s'exprimer, se responsabiliser, coopérer, expérimenter et s'ouvrir sur le monde.
À la fin de son cursus à l’École Normale d’Instituteurs du Mans, on lui propose naturellement un poste d’enseignant: il refusera ; les méthodes et la philosophie étant bien trop éloignées de Freinet.

Une vie dédiée aux autres

Il se lance donc dans une formation aux métiers de l’animation. À l’issue, en 1966, on lui propose la direction du Foyer des Jeunes et d’Éducation Populaire Parmentier à Grenoble ; il met alors le cap sur la capitale des Alpes. Engagé pour les autres, les activités vont bon train au Foyer Parmentier, chacun pouvant s’essayer à la musique, au judo, au ski… Autant de cordes à l’arc d’André qui est un musicien émérite et qui a eu le privilège de jouer avec Georges Brassens, Boby Lapointe… Il va également créer une troupe de marionnettes et un spectacle monté de toutes pièces par son épouse et lui-même, qu’ils joueront au Festival d’Avignon et au Grand Théâtre de Grenoble. Fort de cette expérience Parmentier, il va prendre la suite de Paul Jargot à l’Université Pierre Mendès France, au poste de directeur de l’option animateurs socioculturels. C’est là d’ailleurs que se déroulera l’ensemble de sa carrière avec en point d’orgue sa nomination au poste de maître de conférences.

Mais André est insatiable, et quand il n’est pas à l’Université, il donne de son temps, de son énergie dans de nombreuses associations et il va toujours au bout des choses : création du groupement des pêcheurs sportifs de l’Isère, de l’équipe de France de pêche à la mouche… À la demande de Paul Jargot, il le rejoint en politique et il sera élu adjoint à la ville de Crolles en 1983. Il a entre autres, participé à la création du Marais de Montfort.

Si désormais André coule une retraite paisible aux côtés de son épouse, à Crolles, il n’est pas pour autant inactif : il écrit des livres, des poèmes, anime des conférences. Il aime apprendre, découvrir. Quand il se lance dans un sujet, il pousse l’apprentissage à son paroxysme. Cette quête de savoir, ce volontarisme et cette détermination, il les doit sans doute quelque part à ses parents, à son histoire familiale et à ce voyage en valise.

 

Marcher sur les traces de sa naissance

Il avait promis à son père de se rendre un jour à la Chartreuse de Mont Dieu, là où tout a commencé. Ce fut chose faite ce printemps. L’occasion pour lui de marcher dans les traces de ses parents, de se replonger dans leur histoire mais aussi dans le début de la sienne. Si les lieux ont bien changé depuis, nul doute que son esprit vif a pu revivre la rencontre de Raymond et Sophie, deux jeunes que la guerre a fait se rencontrer, s’aimer et croire en la liberté !